LE LEGS DE L'ORIENTALISME FRANÇAIS
UN HERITAGE Á EXPLOITER
PRZYLUSKI, Jean (1885-1944)
Présentation
Né au Mans en 1885 , la carrière professionnelle du jeune Przyluski semble toute tracée dans l’appareil administratif colonial : en 1907, breveté de l’Ecole coloniale – section Droit-, il débarque à l’âge de 22 ans au Tonkin comme élève-administrateur. Après deux années de stage, il est nommé Administrateur des Services civils de l’Indochine, et à vingt-six ans, il assume les fonctions de Chef de la Section des Affaires indigènes au Gouvernement général de l’Indochine.
Cependant, à la même époque, toute une série d’interventions extra-professionnelles met en relief les prédispositions du jeune fonctionnaire colonial à s’engouffrer dans le personnage du savant orientaliste. Avant d’embarquer pour l’Indochine, Jean Przyluski a suivi à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) l'enseignement de Marcel Mauss sur « l'Histoire des religions des peuples non-civilisés » et du sinisant Edouard Chavannes, témoignant par-là d’une curiosité significative pour les sciences historiques et sociales et pour le chinois. Au Tonkin, il se met à l’étude de la langue et de la culture vietnamiennes. Ses progrès sont si rapides qu’il est chargé de cours d’annamite à la Résidence supérieure du Tonkin. Profitant d’un congé en France en 1911, il passe le diplôme des Langues Orientales. De par ses contacts avec le sol et les hommes de cet Extrême-Orient, il publie plusieurs articles dans le Bulletin de l’Ecole d’Extrême-Orient qui soulignent les connexions entre les rites et les croyances, les faits de langue, les techniques, le milieu géographique et économique. (« Note sur le culte des arbres au Tonkin », 1909). Un schème qui va ensuite structurer toute son œuvre.
En 1913, malade, il rentre définitivement en France et est nommé suppléant du professeur d’annamite à l’Ecole des Langues Orientales. A partir de cette période, il se consacre entièrement au travail scientifique. Pour parfaire sa formation orientaliste, il se retrouve sur le banc des auditeurs de l’EPHE et du Collège de France et entre en relation avec les maîtres orientalistes que sont Sylvain Lévi, Louis Finot, Antoine Meillet. Parlant la plupart des langues européennes, son don des langues lui permet de maîtriser le sanskrit, le pāli et le tibétain.
Il oriente dès lors sa réflexion sur la civilisation indienne. Plus particulièrement, suivant les conseils de Sylvain Lévi, il se consacre à l’étude du bouddhisme à travers les textes anciens en pāli et en non pāli (chinois, sanskrit, tibétain). Deux travaux majeurs le consacreront comme un des meilleurs spécialistes sur le sujet (« La légende de l'empereur Açoka (Açokāvadāna) dans les textes indiens et chinois» (1923) et « Le concile de Rājagrha; introduction à l'histoire des canons et des sectes bouddhiques » (1926)), et en 1926, la chaire de Philologie bouddhique est crée pour lui à l’EPHE. En 1930, après avoir suppléé Louis Finot dans la chaire d’histoire et de philologie indochinoises au Collège de France durant sept ans, il lui succède comme titulaire. Dans le même temps, en collaboration avec les meilleurs spécialistes et avec la participation active de sa plus proche disciple, Marcelle Lalou, il entreprend la publication d’un instrument de travail de premier ordre, la « Bibliographie bouddhique ».
Homme de grande culture et passionné par les recherches dans des disciplines aussi diverses que l’histoire des religions, la préhistoire, l’ethnographie, la linguistique, à l’étude du bouddhisme qui lui permet de suivre les routes d’échanges de l’Asie, s’ajoute un intérêt pour la genèse de la civilisation indienne. Au fur et à mesure de ses recherches, il voit la société indienne non plus comme un fragment de la civilisation indo-européenne mais comme un ensemble mouvant où sont mêlés les influences diverses et les éléments ethniques variés qui sont les facteurs des civilisations asiatiques. Ces travaux ont suscité des critiques de certains de ses pairs. Il faut reconnaître que ses idées détonnent face à la doxa sur « l’indianisation », c’est à dire la contribution civilisatrice de l’Inde sur le continent asiatique. Il faut aussi reconnaître que les tendances de Jean Przyluski à systématiser, à rechercher le dénominateur commun à la pensée humaine l’ont amené à partager la thèse du linguiste allemand R.P. Schmidt, contestée à l’époque et aujourd’hui dépassée (BEFEO, t.7, 1907), sur le regroupement des langues austroasiatiques et des langues austronésiennes dans le super-groupe « des langues austriennes ». Ainsi, travaillant sur le vocabulaire sanskrit, il relève l’apport d’éléments linguistiques provenant de langues dites anaryennes, équivalence nominale de « austro-asiatique » dans ses textes, auxquelles il y attache les langues munda de l’Inde, les langues mon-khmer de la péninsule indochinoise mais aussi le cham ou le malais. Sur le plan religieux, pendant plusieurs années, il poursuit l’étude des influences iraniennes sur les croyances de l’Inde, et notamment sur le développement du bouddhisme (« La ville du Cakravartin: Influences babyloniennes sur la civilisation de l'Inde », 1927).
Enfin, dans la dernière partie de sa vie, pour éprouver la valeur de sa thèse sur l’unicité de l’esprit humain au travers de ses manifestations multiples, Jean Przyluski oriente une partie de ses recherches sur la croyance originelle, les cultes de la Déesse Mère ; un sujet qui l’entraînera dans l’Iran, la Babylonie, l’Asie Mineure, le monde étrusque, etc.
[ Macdonald (A. W.) & Lalou (M.), L'œuvre de Jean Przyluski, Paris, Adrien Maisonneuve, 1970, 139 pages.
Cette publication sur la bibliographie de Jean Przyluski - à caractère descriptif - cherche à rendre d'un accès plus facile une œuvre aussi dispersée que volumineuse (plusieurs monographies et près de deux cents articles). ]
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