BULLETIN DE L'AEFEK n° 15
ISSN 1951-6584
Ja nvier 2009
SOMMAIRE
Note sur les pratiques thérapeutiques traditionnelles dans le système de soins au Cambodge
La "médecine khmère" remonte à un passé lointain entretenant des liens étroits avec la médecine ayurvédique. Son usage reste très développé au Cambodge, tout particulièrement, en zone rurale, où, les tradipraticiens qui intègrent toute la complexité de la réalité sociale sont des vecteurs de la vie culturelle. Ils participent au "dispositif de santé" au sens large car ils apportent des réponses, non seulement aux troubles physiques et psychiques, mais aussi à des problèmes plus pragmatiques telle la date pour planter le riz et aux de nombreuses aspirations, matérielles sociales, spirituelles de l’individu khmer. Ils apparaissent bien comme des agents d'un développement intégré.
Description des réseaux thérapeutiques traditionnels au Cambodge
On peut distinguer différents types de tradipraticiens :
- Les "krous khmer" (mot dérivé du sanscrit gourou: le maître), présents dans tous les villages, sont des médecins traditionnels. Ils représentent souvent le premier recours thérapeutique en zone rurale, dans un pays qui, dévasté par des années de guerre, n'a pas encore pu constituer de réseau de santé publique. Ils véhiculent des croyances et des pratiques rituelles intégrées dans la cosmogonie traditionnelle. Nombre de maladies naissent d'un déséquilibre entre les éléments air et liquide ou chaud et froid, mais toutes ne sont pas dues à un dérèglement de l'organisme. On distingue en outre: celles dues à des fautes commises envers les ancêtres ou envers les génies locaux, celles dues aux esprits ou aux sorciers, etc. Selon leur spécialisation, ils emploient : des remèdes naturels anciens (tnam boran), différentes pratiques thérapeutiques (massages, rubéfactions, fumigations, scarifications, ventouses), des rites à caractère religieux ou magique. Certains krous sont spécialisés dans des diagnostics particuliers et il n’est pas rare qu’ils acceptent d’intervenir à plusieurs avec le même malade pour lire la maladie, préparer les remèdes et utiliser différentes thérapies.
- Les bonzes, dans les pagodes, pratiquent des rites qui relèvent aussi de techniques de manipulation des forces surnaturelles, avec lesquelles le bouddhisme populaire s'accommode bien. Leur outil premier, ce sont les écritures sacrées en pâli[1] , qui, incomprises de la majorité de la population sont investies d'un pouvoir incomparable. Les bains d'eau lustrale, le souffle porteur des paroles magiques sont autant d'autres moyens. Les modalités du rituel thérapeutique des bonzes peuvent être décrites avec quelques verbes comme : écouter, conseiller, ordonner, réconcilier, "laver", purifier, barrer la route, faire sortir, repousser, briser la puissance d'un objet, renforcer, protéger ...
Les malades, très révérencieux, sont assis aux pieds des bonzes font part de leurs difficultés, énoncent leur infortune, puis ils écoutent les conseils prodigués. Ensuite, ils se dévêtent sont lavés, purifiés, protégés. La thérapie procède par des mécanismes d'inversion, de réparation et de rétablissement d'alliances auxquels sont associés des traitements à base de médicaments.
Permettre au patient de mieux connaître quels sont ses troubles, comment les guérir est un des premiers pas vers la guérison. Dans les cas de sortilèges attribuables à une tierce personne, les bonzes ne désignent jamais l'auteur, ils se contentent de dire "quelqu'un a fait" et ce sont les malades avec leur entourage qui vont deviner l'identité de l'agresseur, non sans que le bonze indique toutefois des pistes de réflexion. La visée du traitement est articulée sur un corpus de croyances partagées, mais la portée thérapeutique se situe à un autre niveau et concerne la forme de la modalité rituelle sur le psychisme de la personne malade ou de son entourage. Par exemple, si l'on compare avant et après, l'on peut voir comment les bonzes cherchent à inverser ou transformer des états psychologiques: tel sujet présentant une problématique dépressive sera réconforté ou bien un déplacement de charges émotionnelles liées à la culpabilité peut être opéré par la purification ou par la prescription de rites réparateurs. Les procédés exogènes de persuasion et de suggestion viennent également renforcer la guérison à l'image de l'injonction: "lève toi et marche, tu es guéri maintenant". Opérant un véritable travail d'autorégulation, les bonzes, réinvestis dans leurs fonctions de guides spirituels, d'éducateurs et de conseillers, peuvent exercer une grande influence sur leurs fidèles.
- Les médiums appellent des esprits qui les possèdent et avec lesquels ils opèrent des tractations pour délivrer les malades des causes de leurs souffrances. Nous avons repéré différents types de médiums selon les génies, génies locaux, esprits de la famille qui passent de génération en génération, génies historiques ou mythiques. Les médiums sont souvent entourés d'une communauté de fidèles qui les sert ou les accompagne dans différentes cérémonies et d'anciens malades qui reviennent les jours saints. Certains malades deviennent à leur tour médiums mais tous ne se consacrent pas aux pratiques de guérison.
Nous nous trouvons donc face à des systèmes de pratiques pluralistes et syncrétiques qui témoignent de l'établissement d'un modus vivendi entre différentes formes de thérapies et constituant de fait un système global d'approche de l'événement maladie.
[Photos 1 & 2 : Le médium Preah Chan Krishna charge les objets présentés de puissance de guérison]
Un cadre commun : traitement individuel et thérapie sociale
L'on peut parler véritablement de thérapies alternées avec une constante : l'accompagnement du groupe familial qui participe activement aux choix thérapeutiques (ainsi que le voisinage et les relations sociales ou professionnelles). L'intervention de différentes personnes aux différentes étapes de la thérapie et aux changements émane de la formation complexe d'un groupe de décideurs que Janzen[2] nomme "groupe organisateur profane de la thérapie", composé de parents et d'amis, qui est mobilisé lorsque la maladie attaque un individu et qui agit pour définir la situation et lui trouver une solution. Ainsi, ce ne sont pas des individus isolés qui consultent des thérapeutes isolés. Le parcours thérapeutique est le fruit de décisions collectives issues de contraintes d'ordres divers : économique, géographique, relationnel ...
Selon les sujets, les systèmes de soins peuvent être sensiblement différents. Les attitudes et les comportements de recours aux soins, le rôle du malade, et les responsabilités par rapport à la maladie, vont varier, de même que les relations qui se construisent autour du malade et des thérapeutes en termes de savoir et de pouvoir. Toutefois, dans tous les cas, la maladie est indésirable, le sujet va rechercher l'aide de "techniciens" jugés compétents, pour coopérer avec eux et trouver des réponses à des questions précises en rapport avec la maladie, par l'accès à l'intimité du corps ou à une parole qui exprime la souffrance.
En réponse à une demande du groupe, la thérapie comme processus social va se construire sur des rites traduisant des droits et devoirs, des responsabilités pour chaque personne et parfois son entourage. La thérapie passe par la restauration de liens au travers d'un groupe et l'expulsion vers l'extérieur de forces mauvaises. L'accompagnement collectif renforce (tout au moins dans un premier temps) les liens et les obligations entre les membres de la famille.
[Photos 3 & 4 : Un rituel de guérison sur une personne "possédée" par un esprit malfaisant]
Une cohabitation non sans risque avec la médecine moderne
De la sorte, auprès des guérisseurs, le sujet trouve des éléments de réponse à ses souffrances, un registre d'explications et des pratiques thérapeutiques qui correspondent à certaines de ses représentations et peuvent donc le soulager préparant ainsi à une meilleure ré-insertion sociale. Le tradipraticien énonce des causes et un système de représentations souples qui laisse toujours place à des aménagements ultérieurs du dire et du faire.
Par exemple,les pratiques de possession sont particulièrement efficaces quand le tradipraticien demande à l'esprit de parler au travers du malade ce qui lui permet une évocation facile de ses problèmes alors que la personne aurait trop honte autrement à les évoquer ouvertement ou que son statut familial ne lui autoriserait pas. La transe et la possession chez les femmes ont souvent été interprétées comme un moyen d'exprimer des revendications impossibles à formuler dans un strict contexte familial alors qu'elle seront aisément considérées comme relevant de la pathologie dans nos sociétés[3]. En introduisant une division de la personne, elles permettent aussi une délivrance de la culpabilité et parfois l'entrée dans une initiation qui inaugure comme une nouvelle naissance au monde de même qu'un nouveau statut social[4]. La littérature sur la possession et de nombreux cas rencontrés pourraient illustrer cette restructuration de la personne qui s'effectue dans le passage d'une possession pathologique à une possession rituelle et l'appartenance à un groupe social qui partage ces mêmes croyances et pratiques cultuelles.
Mais le plus surprenant dans les parcours thérapeutiques est cette mobilité et apparente versatilité du diagnostic qui induit le recours à des pratiques variées. Différentes personnes peuvent mettre en valeur des aspects différents du diagnostic sans nécessairement se contredire : ces pratiques, variées, s’inscrivent dans un univers de croyance symbiotique local où les génies du terroir côtoient les miracles du Bouddha.
Par contre, la coexistence avec les savoirs scientifiques occidentaux n’est pas sans incidences sur les systèmes étiologiques des maladies et leur traitement.
Un des signes les plus évidents en est le pluralisme qui caractérise les parcours thérapeutiques des malades caractérisés par des allers retours entre l'hôpital ou les cliniques privées et les consultations traditionnelles. Qui plus est, ces fréquentations alternées ont une influence sur l'explication même des causes de la maladie, qui témoigne parfois de synthèse explicative entre un modèle biologique et une explication surnaturelle; un exemple des plus fréquents est la compréhension du sortilège comme la cause d'une détérioration des fibres nerveuses.
Au niveau même des soins prodigués par les thérapeutes dits traditionnels des emprunts apparaissent. L'usage de produits issus de la psychiatrie (anxiolytiques, somnifères, hypnotiques) est une pratique courante et souvent dissimulée quis'accompagne d'effets spectaculaires accroissant alors l'aura de pouvoir attribuée aux thérapeutes mais repose sur une fraude dans la mesure où, une fois le malade revenu chez lui sans médication les troubles reprennent. D’autres tradipraticiens, (qui nous apparaissent de fait douteux), se complaisent à truffer leur discours de termes médicaux en français tout en voulant se démarquer des médecins auxquels ils reprochent d'avoir une vision limitée du monde.
Certains thérapeutes jouent toutefois franc-jeu et déclarent d'emblée qu'il y a intérêt à cumuler les pratiques ou modes de soins sans nécessairement être en mesure eux-mêmes d'utiliser et prescrire la médecine occidentale.
Nous n'avons pas non mené d'investigations en profondeur sur la langue et sa place dans le processus thérapeutique. La plupart des tradipraticiens utilisent le khmer pour communiquer avec les patients, mais aussi le pâli des textes sacrés pour les rites thérapeutiques ; quant aux médiums, lors de séance de possession, ils peuvent selon l'origine de leur « maître » parler chinois, viêtnamien, thaï, cham, malais, ou mieux encore pali ou sanscrit. Ces phénomènes de glossolalie inintelligibles sont courants dans ces pratiques médiumniques.
Signalons toutefois que les médecins eux-aussi truffent leur discours de français (nombre de termes médicaux ne sont pas encore traduits en khmer). Ils rédigent souvent leur ordonnance en français ou en anglais incompréhensible de leurs patients mais ces langues sont censées représenter le progrès scientifique de l’Occident ; comme quoi les guérisseurs ne sont pas les seuls à utiliser le symbolique !
Didier BERTRAND
Docteur en psychologie interculturelle
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(1) Langue ancienne dans laquelle sont écrits les textes bouddhistes.
(2) Janzen, John M, La quête de la thérapie au bas Zaïre, Karthala, 1995 : 11.
(3) Voir à ce sujet l'excellent ouvrage de Catherine Clément et Sudir Kaddar: La folle et le Saint (Seuil).
(4) L'on retrouve en effet dans de nombreuses sociétés qui reconnaissent la possession parmi les participants, des personnes présentant une tendance à l'inversion sexuelle et des femmes marginalisées de par leur statut, veuves, mère célibataires....
Au-delà de l'acte d'écrire en français dans nos études
Lors d’une table ronde organisée par l’AEFEK, à Paris, le 22 novembre 2008, et réunissant une dizaine de chercheurs sur le domaine khmer, a été abordée la question de l’utilisation croissante de l’anglais comme moyen de communication au sein de revues scientifiques et dans des colloques dirigés par des groupes de recherche ou placés sous l’égide d’institutions françaises (on pense en particulier à l’EFEO).
Dans le cadre des études sur la partie de la péninsule indochinoise historiquement liée à l’ex-Indochine française – en particulier le Cambodge -, la conclusion largement partagée par les différents intervenants sur le sujet est que l’intérêt à court terme - le tropisme de l’anglais pour un savoir mieux diffusé, et rapidement - recèle en son sein les éléments de l’affaiblissement de la recherche française à moyen terme, mais plus inquiétant, de l’appauvrissement crescendo de la production scientifique internationale sur la zone.
Pour mieux éclairer les véritables enjeux qui sous-tendent toute démarche à favoriser l’écrit en anglais au détriment du français parmi nos pairs, il a été demandé à Marie-Sybille de Vienne, directrice de la revue Péninsule, d’exposer la stratégie à rebours de la revue, et qui est de publier les articles exclusivement en français.
À propos du choix de publication en langue française de la revue
Péninsule, études interdisciplinaires sur l’Asie du Sud-Est péninsulaire
Le choix de continuer à publier une revue scientifique de sciences humaines exclusivement en langue française en 2008 – certes, complétée de résumés en français, en portugais et en anglais, accessibles par internet – peut surprendre un lectorat scientifique non averti, déconcerté par ce qui pourrait sembler une défense désuète, voire « franchouillarde » d’une langue française réduite à un vernaculaire national.
Ce qui n’est bien évidemment pas le cas. La politique éditoriale de Péninsule s’explique par la prise en compte de trois impératifs scientifiques et méthodologiques, soit par ordre d’importance croissante :
1. Éviter l’accaparement des institutions de la recherche par les chercheurs anglophones
Seul un très petit nombre de chercheurs français en sciences humaines a aujourd’hui une parfaite maîtrise de l’anglais écrit. Imposer aux chercheurs français de publier en anglais revient ainsi à encourager et soutenir une politique de discrimination linguistique, déjà déployée par bon nombre d’institutions internationales recherchant des collaborateurs English mother tongue, une bonne manière d’exclure les Français des appareils de contrôle.
Le phénomène est particulièrement criant en Europe, où l’on voit la montée, dans les instances de gestion et de contrôle de la recherche, des Britanniques et de leurs affidés d’Europe du Nord (pays scandinaves et Pays-Bas), ces derniers étant passés au bilinguisme pour des raisons démographiques et historiques.
À l’inverse, les pays ‘latins’, Espagne, Portugal et Italie, continuent de maintenir un bon nombre de revues de sciences humaines en langue nationale (par exemple, il suffit de se connecter au site de la BN portugaise pour en avoir la preuve), ce qui reste la meilleure manière de ne pas se faire « évincer » des dispositifs.
Étant entendu que ce qui est en jeu, c’est la pertinence des outils d’analyse (dont découle la finesse d’approche) et la diversité des points de vue (cf. le point 3).
2. Défendre le maintien d’un accès aux sources dans leur langue d’origine, dans une région où elles sont incontournables
En Asie du Sud-Est péninsulaire, la majorité des sources antérieures à 1945 sont en langue occidentale, soit pour les sources les plus importantes en volume : en portugais (à partir du début du XVIe s.), en néerlandais (XVIIe-XIXe s.) et en français (qui constitue une source majeure pour les trois pays indochinois et le Siam depuis le XVIIe s. cf. les travaux d’Alain Forest, PU à Paris VII), l’anglais y occupant une place marginale (à partir du XVIIIe s., pour la péninsule malaise et la Birmanie).
Ne pas publier en français pour une revue spécialisée sur la péninsule est donc le meilleur moyen de décourager les chercheurs sud-est asiatiques (au minimum ceux issus des trois pays ex-indochinois) et par delà, du reste du monde, de continuer à lire le français, indispensable pour avoir accès aux sources originales. Et à terme, cela revient à les couper encore davantage de sources incontournables dans la plupart des disciplines (de l’histoire au droit en passant par l’ethnologie, l’économie, etc.), car les sources de langue française n’ont été que très partiellement traduites en anglais (moins de 10%) ; et les traductions existantes sont le plus souvent partielles, voire bancales ; et encore moins traduites en langue locale (malgré les efforts de chercheurs comme Michel Antelme).
3. Préserver à toute force un appareil conceptuel et méthodologique
Mais plus gravement encore que les deux points évoqués ci-dessus, le français ne véhicule pas tant une langue qu’un appareil conceptuel et une méthodologie spécifiques qui ont fait leurs preuves en sciences humaines, illustrés en leur temps par : C. levi-Strauss, dont on vient de célébrer le centenaire, en ethnologie ; P. Bourdieu, en sociologie, F. braudel et l’école des Annales en histoire, etc.
Le poids des Français en sciences humaines s’explique avant tout par une méthodologie d’analyse que l’on peut présenter très sommairement comme suit : partir des faits ; sur cette base formuler des hypothèses de travail ; les tester au travers d’une démonstration rigoureuse, en convoquant, le cas échéant, divers modèles théoriques si ceux-ci enrichissent l’analyse ; enfin poser un diagnostic qui peut aussi bien ouvrir sur de nouvelles recherches que trancher un débat [1].
Rien de bien original à cela, le raisonnement hypothético-déductif étant à la base des sciences dures. L’originalité française, c’est précisément d’appliquer la même démarche logique aux sciences « molles ».
Or une telle démarche est à l’opposé des méthodes des Anglo-saxons, qui, la plupart du temps, font l’inverse [2] : ils partent des théories existantes, collationnent les faits, essayent de les faire rentrer avec plus ou moins de bonheur dans le cadre théorique qu’ils ont choisi pour référence, et se gardent bien de conclure. Pire, ils présentent souvent les faits « en désordre », c’est-à-dire sans respecter des éléments aussi élémentaires que la chronologie ou le lieu.
Le résultat, c’est qu’ils brassent une masse d’informations, judicieuses souvent, minutieusement fouillées, parfois, mais qu’ils n’en retirent pas grand chose... Il s’ensuit des contresens à répétition sur la préhension du monde, qu’illustrent la guerre du Viêtnam, les évènements de 1970 au Cambodge, la guerre d’Irak ou le discours sur le « choc des civilisations ».
Et si les Anglo-saxons sont souvent excellents en sciences dure, c’est que là, l’outil mathématique (au sens le plus large du terme), physique ou chimique impose sa rigueur de lui-même.
À force de publier directement en anglais en sciences humaines, les méthodologies françaises finiront par disparaître, appauvrissant d’autant le patrimoine scientifique mondial. Il ne s’agit pas ici d’imposer nos méthodologies, mais d’éviter que le totalitarisme culturel tue la diversité du monde, à commencer par celle des peuples et des cultures que nous étudions.
Au vu des techniques actuelles (en particulier du perfectionnement accéléré des traducteurs automatiques) rien n’empêche évidemment ensuite un lecteur disposant d’une édition électronique d’utiliser un traducteur automatique, ou les auteurs de publier – mais dans un deuxième temps, après avoir pensé en français – leurs travaux en anglais.
Pour conclure, on peut rappeler que, bien que publiant en français, Péninsule est classée depuis 2000 sur la liste des 100 plus importantes revues de langue occidentale sur l’Asie par l’Université du Michigan, Bibliography of Asian studies, Fast Track Journal Title List (most important journals within the field of Asian studies) [cliquez ici]... Et que toutes les grandes bibliothèques universitaires américaines sont abonnées à Péninsule.
Marie-Sybille de Vienne
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[1] Selon une tradition de pensée aristotélicienne plurimillénaire, relayée jusque dans nos universités européennes par le truchement du thomisme.
[2] Étant entendu que nombre d’entre eux échappent heureusement à cette doxa, en raison justement du fait qu’ils maîtrisent les langues européennes et disposent ce faisant d’une ouverture qui les poussent à ‘voir’ plus loin.
Bibliographie de M-S de Vienne
NOTES & DOCUMENTS
LA LINGUISTIQUE À L'HONNEUR...
... via Michel FERLUS, directeur de recherche CNRS à la retraite et membre associé au CRLAO (Centre de Recherches Linguistiques sur l’Asie Orientale).
Linguiste, spécialiste des langues austroasiatiques et thai-kadai de l'Asie du Sud-Est au sens large (une aire qui couvre aussi l'Inde de l'est et la Chine du sud), Michel Ferlus met à la disposition des internautes de l'AEFEK un article : « L’intérêt linguistique des transcriptions chinoises concernant le Cambodge ancien (Fou-Nan et Tchen-La) », et qui est une version remaniée d’une communication présentée aux Dix-neuvièmes Journées de Linguistique de l’Asie Orientale, organisées par le Centre de Recherches Linguistiques sur l’Asie Orientale (EHESS – CNRS), 30 juin – 1er juillet 2005.
Michel FERLUS en quelques mots... (télécharger ici).
... via Jean-Michel FILIPPI, professeur à l'Université royale de Phnom Penh.
Avec le soutien de l’Unesco, l'ethnolinguiste Jean-Michel Filippi et son équipe ont ordonné dans un ouvrage : Recherches préliminaires sur les langues des minorités du Cambodge, Phnom-Penh, publié par l’UNESCO et l’IDSSC, les Editions FUNAN, 2008, 152 p., les premiers résultats de 7 mois d’enquête de terrain et d’analyse des sources écrites; ce qui est à cet égard une première contribution sur l’état le plus récent de la connaissance des langues minoritaires du pays.
Ce travail inédit existe dans une version électronique et est mis par le chercheur et l’Unesco-Cambodge à la disposition de nos internautes [consulter l'ouvrage].
Carte ethnolinguistique du Cambodge (en annexe de l'ouvrage)
ZOOM SUR UN KHMERISANT
Jean MOURA (1827-1885)
Peu de choses à notre disposition concernant le lieutenant de vaisseau Jean Moura, né le 3 avril 1827 à Moissac (Tarn-et-Garonne), et qui a été le troisième « Représentant du gouvernement français » au Cambodge après Doudart de Lagrée et Edouard Pottier. Un poste qu’il occupa d’ailleurs à trois reprises sur une décennie, de 1868 à 1870, de 1871 à 1876 et, après un intermède de quelques mois par Paul-Louis-Félix Philastre (avril-novembre), de 1876 à 1879.
Soulignons toutefois deux démarches à l’actif d’une des premières figures inscrites dans la galerie des observateurs éclairés sur le royaume cambodgien :
1. Dans la lignée des officiers de marine en poste dans le pays khmer, sa fonction au service des intérêts coloniaux de la France se double d’un vif intérêt pour ce peuple, sa culture et son histoire.
En témoignent ces quelques milliers de pages bien remplies durant les trois années qui ont suivi son retour définitif en France et qui, notons-le, composeront le premier ouvrage de synthèse sur le Cambodge : Le royaume du Cambodge, Paris, E. Leroux, 2 vol. 1883, 514 p & 479 p[1].
Bien que l’ouvrage ait vieilli du fait de l'état des connaissances de l’époque et d’une prose qui ne peut éviter la critique - maintes fois délayée dans le récit colonial - de « l’indigène indolent », les passages englobant son propre expérience d’administrateur ou, tout simplement, les remarques de l’observateur de terrain, méritent toujours d’être prises en considération.
2. Autre témoignage sur sa curiosité vis-à-vis du Cambodge, moins connu celui-là, Jean Moura a participé durant sa dernière année de présence au Cambodge (1879) aux fouilles sur le premier gisement préhistorique khmer découvert en 1876 à Samrong Sen, à environ 100 km au nord de Phnom Penh [2]. Les pièces rapportées en France et déposées au musée d’histoire naturelle de Toulouse (pièces de poterie, galets travaillés, éléments en bronze…) furent l’objet d’une étude par son directeur, Jean-Baptiste Noulet [3].
C’est d’ailleurs dans cette ville de Toulouse que Jean Moura décédera à l’âge de 58 ans, le 17 mai 1885 [4].
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(1) De facture encyclopédique, l’ouvrage aborde ainsi différents sujets : la géographie, l’histoire, la population, le commerce et l’industrie, la médecine, la faune et la flore, la pêche et la chasse, la géologie et la botanique, la religion et les coutumes, l’administration royale et la société, la langue et la littérature, les ethnies du Cambodge de l’époque (Premier tome) ; les Chroniques royales, l’archéologie, les Beaux arts, l’épigraphie (Deuxième tome).
(2) Outre ces deux volumes, sa bibliographie comporte trois articles que l’on a pu répertorier :
- « Note sur la pêche du Tonli-sap (lac du Cambodge) », Revue maritime et coloniale, t.LXI, avril-juin 1879 : 535-553 ; [en ligne sur le site de l'AEFEK]
- “ Le royaume du Cambodge”, Bulletin de la Société de géographie de Bordeaux, 15 mai, 2 août 1882; [en ligne sur le site de l'AEFEK]
- « Origine, mœurs et monuments des Cambodgiens », Bulletin de la Société de géographie de Toulouse, 1° année, 1882, n° 6 : 184-195; [en ligne sur le site de l'AEFEK]
(3) Roland Mourer, « Préhistoire du Cambodge », Archeologia / Préhistoire et Archéologie, n°233, 1988, pp. 40-52. Voir aussi : Jean-Baptiste Noulet, « L'âge de la pierre polie et du bronze au Cambodge d'après les découvertes de M. J. Moura » [ in Archives du Musée d'Histoire Naturelle de Toulouse, Toulouse : Imprimerie Douladoure-Privat, 1879-1882, 128 p], 33 p.
(4) Cf. la nécrologie de Jean Moura parue dans le Bulletin de la Société de géographie de Toulouse, n°8, 1885 : 209-210. [Télécharger ici]